Meeting Pauline Bonnet

Qu’est-ce qui t’a menée vers la céramique ? Peux-tu nous parler un peu de ton parcours et de La Cambre ? 

Avant d’étudier à l’ENSAV La Cambre (École à Bruxelles, Belgique), j’ai suivi une formation de design textile, matériaux, surface à l’ESAA Duperré et c’est un peu par hasard, à l’occasion de mon projet de diplôme, que je me suis intéressée pour la première fois aux matières céramiques. Mais c’est aux côtés de l’artiste Lydia Hardwick, lors d’un stage/collaboration que j’ai effectué dans son studio londonien en 2015 que j’ai véritablement pu développer mon affinité avec l’argile. À la suite de cette rencontre, j’ai pris conscience de mon attrait pour les savoir-faire artisanaux et je me suis réorientée en intégrant La Cambre pour y suivre un bachelor, puis un master en céramique.

En 5 ans au sein de cet atelier, brillamment dirigé par Caroline Andrin, j’ai d’abord suivi une formation poussée en technologie céramique, couplée à l’apprentissage des différents procédés de mises en forme -modelage, moulage, tournage,…-. L’exhaustivité de ce cursus technique m’a ensuite permis de développer ma pratique de céramiste plasticienne, qui s’articule principalement autour du travail de la couleur, du motif et de la matière. M’attachant à renouveler les formes et les savoir-faire propres aux arts du feu, j’essaye surtout de produire des objets incarnés, dont la vivacité esthétique serait suffisamment saillante pour les faire exister autrement.

four pauline bonnet la cambre volume ceramics

Est-ce que tu collectionnes des pièces également ? 

Oh oui! Je collectionne depuis des années, au gré de mes crush, et j’affectionne particulièrement le bibelot. Pour moi, c’est un objet-parure absolument touchant, le résultat d’un acte de gratuité plastique, et il n’a d’autre prétention que d’être ravissant. Mes bibelots sont juste là, disposés sur mes étagères, en constante représentation à travers mon appartement. Et ceux dont je choisis de m’entourer dans mon intimité sont d’ailleurs une grande source d’inspiration pour ma pratique.

Il y a une citation de Jean Beaudrillard, extraite de Le Système des Objets qui exprime très justement mon rapport à l’objet décoratif : « L’objet, [lui,] est l’animal domestique parfait. C’est le seul « être » dont les qualités exaltent ma personne […]. »

Sans grande surprise, la céramique et le verre occupent une place de choix dans mon intérieur… Ils sont partout! Ma collection se composait surtout d’objets chinés (pour les amateurs, je recommande d’ailleurs le marché aux puces du Jeu de Balle à Bruxelles!), mais depuis quelques années, j’ai le plaisir et la chance de faire des échanges de pièces avec des artistes talentueux. Dans mon salon on trouve par exemple un foyer de Clément Garcia-Legouez, une piscine de Clémentine Vaultier, un cendrier en verre offert par le CIRVA, ou encore une bouteille en porcelaine de Nitsa Meletopoulos. Et la dernière à rejoindre ma collection, une incroyable céramique signée Sandrine Pagny. J’adore ces pièces parce qu’elles témoignent de mes amitiés ou de nouvelles rencontres.

Est-ce que tu peux partager davantage ton processus de création avec nous ? Est-ce que tu dessines ou bien tu crées directement avec la terre et le verre ? 

À vrai dire, j’ai une approche assez complexée du dessin. Ce n’est pas très naturel pour moi, et je suis beaucoup plus à l’aise quand il s’agit de mettre en forme directement avec la matière. Le dessin intervient pourtant toujours dans ma pratique, mais il est plus là comme un « pense-bête » qui me permet de ne pas laisser filer une idée. D’ailleurs, j’ai abandonné le carnet de croquis depuis des années, et je dessine désormais essentiellement sur mon téléphone, à l’aide d’applications de dessin numérique pour enfants !

Sinon, je fonctionne de manière très intuitive, j’aime être dans le « faire » ; mes expérimentations sont souvent guidées par une curiosité technique, par le besoin d’apprendre et d'affiner de nouveaux gestes de fabrication. J’ai hérité de mon background en design textile une approche prospective des matériaux, et j’applique toujours ces mêmes méthodes de travail dans ma pratique de la céramique. D’abord je développe des aspects de surface, des associations de matières et d’émaux particuliers, je trouve une couleur, je fabrique une pâte ou j’imagine un motif. L’application de ces recherches plastiques arrivent alors souvent dans un second temps.

pauline bonnet pot pourris volume ceramics

Tu viens d’emménager à Marseille, est-ce que cela a / va avoir une influence sur ta pratique ? 

Oui, définitivement. Il y a quelques années je m’étais d’ailleurs déjà inspiré de mon héritage provençal en imaginant Lou solèu me fai canta, une installation murale faite d’une centaine de cigales en grès, émaillées de nuances de lavande. Aujourd’hui, je finis tout juste d’installer mon premier atelier dans ma région natale et j’entame doucement de nouvelles recherches nécessairement influencées par mon nouvel environnement, si familier et pourtant inconnu. C’est drôle mais c’est la première fois que je pratique la céramique dans le Sud, et le passage du grès belge à la faïence locale s’avère être un vrai challenge pour moi! J’ai hâte de voir où ça emmènera ma pratique.

Tes pièces ont des couleurs vraiment changeantes, c’est fascinant. Peux-tu nous en dire un peu plus par rapport aux Pots Pourris sélectionnés pour Volume Ceramics ? 

Cette série est née à l’occasion de mon diplôme de master à La Cambre. Mes POTS-POURRIS étaient mis en forme d’après une projection mentale advenue lors d’une séance d’hypnothérapie au cours de laquelle il m’avait été demandé de visualiser un grand vase à l’intérieur duquel déverser mon trop plein d’angoisse. J’avais alors fait le choix délibéré d’utiliser une couverte au plomb, un médium à part entière, sensible et signifiant, dont la toxicité venait à la fois traduire et envelopper mon intériorité. Cet émail dit incuit me permettait, grâce à l’application au pistolet et des jeux de superpositions colorées, d’obtenir un effet « velours », des surfaces granuleuses vibrantes, des crépis moirés.

pauline bonnet pots pourris la cambre

Cet ensemble de céramiques toxiques était purement motivé par des envies sculpturales, et aujourd’hui je m’emploie plutôt à produire de la céramique utilitaire. Les vases imaginés pour Volume Ceramics sont sans produits toxiques et de tailles plus modestes, mais reprennent les mêmes qualités haptiques et visuelles que leurs prédécesseurs. Leurs effets de surfaces colorés et irisés intriguent et évoluent avec la lumière tout au long de la journée.

Quels sont tes projets cette année ? Vas-tu travailler sur d’autres typologies d’objets, des expos, d’autres échelles…?

Depuis ma sortie de l’école, j’ai reçu plusieurs récompenses (Prix des Amis de la Cambre, Prix de la Fondation Boghossian, Prix de la Loterie Nationale Belge) qui m’ont permis d’exposer mes oeuvres plusieurs fois ces derniers mois, et d’envisager mon futur de manière plutôt sereine. J’ai aussi pu investir dans l’aménagement de mon atelier et l’achat de matériaux pour pouvoir poursuivre ma pratique. Je suis super reconnaissante envers toutes les personnes qui m’ont soutenu et me soutiennent encore, et j’ai encore un peu du mal à réaliser mais je suis tellement chanceuse.

Aujourd’hui, je reprends tout juste le chemin de l’atelier et je travaillerai tout l’été à l’élaboration de ma toute première exposition personnelle programmée pour la fin de l’année à Eleven Steens, un espace bruxellois consacré à la création contemporaine.

La fin d’année s’annonce donc déjà bien chargée, mais j’espère que j’aurais également l’opportunité de m’intégrer dans le paysage culturel marseillais, c’est vraiment quelque chose qui me tient à coeur, croisons les doigts!

Ta playlist en ce moment à l’atelier ?

Une partie de ma sélection douteuse du moment :

  • Le dernier album de SCH- JVLIVS II
  • Damso - Ο. OG
  • Hamza - God Bless feat. Damso
  • Shay - Ich Liebe Dich
  • Soso Maness - So Maness
  • Meryl - Coucou
  • Wejdene - Je t’aime de ouf
  • Nakry - Léwé
  • Maureen - Tic

Sinon, je laisse les soundcloud des copains tourner en aléatoire :

https://soundcloud.com/metaphorecollectif

https://soundcloud.com/lugallanbada

pauline bonnet for volume ceramics pot pourris

Découvrir les pièces de Pauline Bonnet pour Volume Ceramics

 

crédits photo : portrait de Pauline travaillant par Fabien Mathieu, Pots Pourris lors de l'exposition à l'ENSAV La Cambre par CLT et Collection de Pots Pourris pour Volume Ceramics par Chantapitch.

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