Rencontre avec Noe Kuremoto

Comment a commencé ton travail de la terre ? À quel moment as-tu commencé à faire de la céramique ton métier ? 
 

J’ai commencé à appréhender la matière quand j’étais enfant. Juste pour m’amuser. Mon père est artiste et professeur d’Art à l’université au Japon donc mes frères et moi avons pu rencontrer beaucoup de ses collègues artistes céramistes poètes etc. lorsqu’il nous emmenait à son atelier ou à l’université. Nous adorions aller à son atelier et rencontrer des adultes passionnants… C’était inimaginable pour nous que tant de personnes soient malheureuses au travail et vivent dans l’attente du week-end ! Je ne remercierai jamais assez mon père de nous avoir fait découvrir si tôt sa passion et le monde dans lequel il évolue. 

J’ai ensuite commencé à étudier à la Central Saint Martins, à la fin des années 1990 à Londres – en restant bien loin de l’univers de la céramique, que je considérais à l’époque comme une discipline plutôt mineure… C’était pour moi d’avantage de l’ordre de l’artisanat que de l’Art. C’est d’ailleurs une discussion sans fin qui pourrait faire l’objet d’une autre interview ! En tous cas à l’époque je me consacrais à la performance et à l’Art vidéo.

Noe Kuremoto Portrait par Marcelo Deguchi pour Volume Ceramics

Il y a 7 ans, mon envie de travailler la terre est revenue, dans une recherche de simplicité, de terre, d’eau de feu et de travail à la main. Tout va plus vite, se digitalise, se partage sur les réseaux et cela nous rend un peu dingues donc j’ai ressenti le besoin de me recentrer, de retrouver des repères. C’est comme ça que je suis revenue à la terre.

Te définirais-tu toi-même comme collectionneuse ? Est-ce que tu possèdes beaucoup de sculptures, de vases, d’œuvres ?
 

Pas vraiment. Avec un petit appartement dans le centre de Londres, mieux vaut ne pas être trop collectionneur. Mon studio (basé à East London) est lui aussi assez petit donc j’essaie d’être aussi minimaliste que possible. Je fais des ventes et dis au revoir à toutes mes pièces tous les 6 mois, pour laisser de la place à mon nouveau travail. Cela demande beaucoup de discipline et c’est d’ailleurs assez dur, surtout quand les pièces deviennent une sorte d’extension de soi. Cela me permet également d’être au clair dans mon esprit lorsque je fais de la place pour ma nouvelle collection. C’est une très bonne chose de ne pas trop s’attacher aux choses !

Tu es née à Osaka (j’adore cette ville, au passage !), quand as-tu déménagé en Grande Bretagne ? Pourrais-tu nous expliquer en quoi cette double culture est importante dans ton travail ?

 Oh, je suis heureuse que tu aimes Osaka. Les habitants d’Osaka sont en général super fiers de leur ville !  

Je suis arrivée en Angleterre à 17 ans. Le temps passe ! Je suis énormément influencée par les croyances et mythes Japonais – en particulier tout ce qui a trait aux esprits de la nature. Je suis persuadée que si je n’avais pas quitté le Japon et si j’étais devenue artiste là-bas je n’aurais pas été si curieuse et proche de ma propre culture. Cela joue donc un rôle important dans mon travail, c’est sûr. Aussi j’adore raconter des histoires à mes enfants lorsqu’ils me demandent d’où viennent les formes je crée. 

Les pièces que tu crées sont très poétiques et on sent une vraie liberté dans ton travail de la terre. Quelle est ton approche en ce qui concerne la forme ?

Je dessine énormément – j’ai toujours eu un crayon dans la main depuis que je suis toute petite. Je trouve que la création de formes et de sculptures en terre s’apparente à du dessin. Du dessin dans l’espace. Je démarre avec un pain de terre bien battue et vois ce qui se passe ! Parfois je griffonne et passe ensuite à la terre. Cela dépend de mon état d’esprit mais en général la terre révèle elle-même sa forme, on ne peut pas vraiment la forcer. C’est peut-être pour ça que l’on peut percevoir une certaine liberté dans mon travail.

J’ai une histoire en tête et cela devient souvent une collection. Je raconte mes histoires à travers les céramiques mais il y a aussi des éléments très spontanés. 

Conteuse de génie 

Je crois que je le sais déjà mais quel est ton outil favori ?
 

Ma main ! 

Large Jomon suiban x @fridakim_london

Ton travail inspire beaucoup de fleuristes... Est-ce que l'art floral a une place dans ton processus de création ?

Je vois mon vase un peu comme une terre. Les floral artists sont un peu comme des jardiniers et c’est mon travail de faire en sorte que leur terre soit fertile et permette aux fruits et aux fleurs d’éclore. Je me sens toujours tellement chanceuse lorsque je peux être témoin de la nouvelle vie d’une de mes pièces, une fois qu’elle a quitté l’atelier ! Énormément de mes clients ont beaucoup de talent et je suis souvent époustouflée quand ils partagent leurs compositions avec moi. Merci à eux - si certains nous lisent !

J’ai découvert que tu avais pratiqué les Arts Martiaux à haut niveau. Continues-tu la Boxe Thaï ? Est-ce qu’on pourrait voir un lien entre cette discipline et le travail de la terre ?

Cela fait longtemps que je n’ai pas combattu, je suis vieille maintenant ! Mon mari a hâte que l’on fasse découvrir ça à nos enfants… Et moi aussi d’ailleurs. Après tout, les Arts Martiaux m’ont appris la discipline, le respect, la douleur, l’amour… Tous les ingrédients d’une vie qui a du sens.

Une vie tournée vers les Arts Martiaux est tellement intense – et tout le monde est comme « nu ». Peu importe si tu es riche, pauvre, quelle est ta couleur de peau ou ta religion. Celui qui travaille le plus dur et combat le plus durement et le plus intelligemment gagne. Personne ne peut se cacher derrière un bel uniforme ou derrière des marques sympas… J’espère pouvoir rester « nue » tout le reste de ma vie. J’aime le fait qu’on ne puisse pas mentir sur un ring. On est tout seul et on ne peut pas se mentir une fois que la sonnerie retentit. C’est vraiment comme dans la vie !

Quels sont tes projets en ce moment ?

Je viens d'exposer à Paris pour l'exposition La Beauté du geste chez Amélie Maison d'Art, en réinterprétant les vases japonais Tsubo traditionnels. J'adorerais faire une installation et des pièces à plus grande échelle, donc j’économise pas mal pour acheter un grand four !

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Photos de Noe Kuremoto par Marcelo Deguchi et Liam Prior
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