Rencontre avec Maia Beyrouti de Moïo Studio

-      Qu’est-ce qui t’a menée vers la terre ?  

Le sud de la France et la Palestine ont une importante culture de la céramique. J’ai donc baigné dans cet héritage depuis toujours, des tomettes aux sols ou carreaux aux murs, aux livres, aux jarres et aux sculptures que nous avions. Un de mes professeurs d’art à l’école était également céramiste. Nous avions un four en classe. Cela a rendu cette matière familière et accessible pour moi, si bien que j’y suis revenue continuellement au fur et à mesure de l’évolution de ma pratique. 

J’ai étudié la Conservation des matières naturelles à Londres, avec une spécialisation dans les techniques photographiques du 19ème, puis j’ai travaillé dans la communication visuelle, si bien que la terre n’a pas toujours été si centrale mais ce qui était clair pour moi c’était que je voulais une pratique qui mixe l’art et la science. Je m’y suis ensuite dédiée à 100% dans la trentaine, avec une volonté de travailler de mes mains. Je ne me voyais pas constamment devant un ordinateur et la terre est revenue, comme une évidence. 

Maia beyrouti Moïo Studio portrait Volume ceramics

-      Tu expérimentes beaucoup sur les émaux et les formes, peux-tu nous parler de ton processus créatif ?

C’est tout sauf linéaire, à l’origine j’ai une intuition en termes de forme et de matière et tente au fur et à mesure de me rapprocher de cette intuition et de ce sentiment. Je les traduis en écrivant des listes de mots et cela prend ensuite forme dans les matières que je développe.

Je passe beaucoup de temps au studio à jouer avec la matière et faire des recherches d'émaux en parallèle de mes productions, ce qui me permet de glisser des tests lors de chacune de mes cuissons. Lorsque je suis satisfaite d’un résultat, je l’intègre doucement à la production. En dehors du studio je dessine et note mes idées, cela peut aller d’idées de formes à des notes techniques. J’ai déjà un vocabulaire de formes établi, ce qui crée une ligne éditoriale dans ma production ; pourtant je m’autorise à en sortir et à l’enrichir au fur et à mesure. C’est pourquoi la déconstruction et l’empilement font de plus en plus partie de mon travail, comme faisant partie intégrante de mon processus.

 Moïo Studio Berlin sketches volume ceramics

-      Dans quelle mesure le fait d’être basée à Berlin a une incidence sur ce que tu crées ?

La scène céramique, design et artisanat est florissante à Berlin, même si cela peut être difficile à percevoir pour les locaux - à moins d’être en plein dedans. Il y a vraiment peu de galeries, de plateformes, de foires ou d’événements dédiés à la promotion de ces travaux à la frontière du design, de l’art, de l’artisanat. C’est dommage mais c’est aussi une opportunité. Les travaux intéressants sont montrés à l’étranger, ce qui complique les choses en termes de logistique. Ceci étant dit, l’attitude générale ici est plutôt dans l’entraide que la compétition, ce qui est vraiment vertueux. En 2021 nous avons présenté le travail de 19 artistes / designers / makers dans une exposition initiée par des artistes, nommée VESSELS. Ce n’est qu’une petite partie de ce qui se fait ici donc j’aimerais vraiment que tout ce travail soit davantage visible localement.

 

-      Peux-tu nous présenter les pièces que tu as réalisées en exclusivité pour Volume Ceramics ?

Je travaille depuis un moment sur l’idée d’empiler des pièces plus larges au sommet de mes vases. Cela se complique lorsque l’on passe à de plus grandes échelles : la terre se déforme lors de la cuisson, le centre de gravité des pièces devient trop haut, on crée une zone de fragilité à la jonction. J’avais fait des pièces plus petites et avais envie de passer à une échelle plus grande. Lorsque vous m’avez contactée côté Volume, suite à un test d’émail qui vous plaisait, j’ai proposé de travailler sur ce type de forme et ai eu votre feu vert. C’était un très beau moment de voir ces nouvelles formes, ces nouveaux émaux et cette nouvelle collaboration émerger si naturellement après plusieurs mois de recherche !

 Maia Beyrouti Volume ceramics samples glaze

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-      Est-ce que tu écoutes de la musique en travaillant ? On veut connaitre ta playlist à l’atelier !


Lorsque je crée, les mains dans la terre, j’écoute du rap français et du hip hop. J’aime Oxmo Puccino, IAM, Mc Solaar, Wu-tang Clan, Missy Elliot, Leikeli47 et je vous conseille d’écouter les beats surréalistes et les paroles d’Infinite Livez !

J’aime la poésie et le mélange des genres. Je mentionnerais bien Kae Tempest et Sleaford Mods également, j’aime cette énergie-là lorsque je suis en train de créer. Si je ponce ou si j’émaille j’écoute des sons plus instrumentaux ou funk étant donné que cela demande un autre type de concentration. C’est alors Jun Fukamachi, Sun-Ra, Gilles Scott-Heron, Unforscene, Pink Floyd, Prince ou Anette Peacock. Je dois avouer que j’ai également un vrai faible pour le merveilleux Gregory Whitehead. Ce qu’il fait avec le son m’inspire vraiment et me transporte.

portrait maia beyrouti moio studio pour volume ceramicsComment vois-tu ta pratique évoluer en ce moment ?

Les pièces produites au studio en ce moment sont de plus en plus grandes et sculpturales. J’aime ça. Je fais des tabourets, des tables basses et de grands vases, le plus souvent en modelage et en développant toujours de nouveaux aspects de surface. J’arrive à un moment où la recherche commence à porter ses fruits et où je peux intégrer davantage de matières dans mes travaux, que ce soit dans les émaux ou dans la terre. Récemment quelqu’un m’a demandé si j’étais maximaliste et j’ai peut-être répondu “non” un peu vite. Je ne suis pas dans l'excès mais je recherche une énergie que je retrouve dans cette zone-là. J’inclus de plus en plus de matières expressives, et j’ai tendance à être dans le contrôle alors que lorsque je laisse plus de place au jeu et à l’imprévu cela se ressent dans la pièce. Donc en résumé je me dirige vers de plus grandes pièces, des pièces plus sculpturales et j’ai d’ailleurs aussi très envie de faire des objets lumineux.

 

Portraits par Liza Kin

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