Rencontre avec Pablo Canivell
Peux-tu nous raconter ce qui t’a mené vers la céramique ?
J’ai commencé la céramique sur les conseils d’un thérapeute, étant sujet à de l’anxiété. Ce thérapeute m’a recommandé la terre comme remède au stress et comme une forme de méditation pour combattre mon anxiété. C’est un peu cliché de dire cela mais cela m’a effectivement énormément apporté, particulièrement pendant la période passée si particulière. Les restrictions étaient vraiment fortes en Espagne et j’ai consacré énormément de temps à la céramique, un peu comme un refuge face à l’anxiété et la situation. Mon travail a bien fonctionné grâce à Instagram pendant cette période. Les gens ont été particulièrement sur les réseaux à un moment où je partageais quotidiennement mes pièces et mon processus. Mon travail a été très bien perçu et j’ai décidé de me lancer professionnellement dans la céramique. Pour dire les choses simplement c’est la manière dont la céramique est passée d’une vraie passion à une carrière !
Ta formation et tes expériences dans le milieu de l’Art et du design ont dû t’apporter beaucoup de références. Est-ce que tu parviens à te détacher de ces références ? Quels sont les artistes qui t’inspirent particulièrement ?
Oui, j’ai étudié l’histoire de l’Art au Courtauld Institute of Art, à Londres. J’ai ensuite travaillé dans plusieurs galeries, maisons de vente et musées à Venise, Londres et Malaga. Mes inspirations viennent surtout du 20ème, avec notamment Jean Cocteau, Matisse, Jean Arp, Lucie Rie et Picasso mais elles viennent aussi et surtout des poteries anciennes.
La Nécropole Phénicienne Trayamar a été découverte par accident dans le jardin de mon grand-père dans les années 1960. Cette Nécropole (Algarrobo, Málaga) est un des exemples les plus intéressants de tombes paléo-puniques en Méditerranée. Cela m’a beaucoup marqué et j’ai dès lors été fasciné par la collection d’objets. Cela explique certainement pourquoi mes recherches et mon travail actuel sont très liés à la poterie ancienne.
J’adore l’idée de faire des références à des œuvres, je vois cela comme un hommage à des artistes que j’admire et qui ont pu avoir un impact important sur ma vie (notamment quand j’étudiais et travaillais dans le milieu de l’Art). Le fait d’utiliser ces références nourrit mon travail et me permet de les traduire et de les faire dialoguer dans mes pièces.
Est-ce que tu te définirais comme un collectionneur ?
Je collectionne effectivement différents types de pièces, dont de la céramique. Notamment des pièces archéologiques mais aussi contemporaines, par des artistes comme Kiho Kang ou Akiko Hirai.
Est-ce que tu pourrais partager ton processus de création avec nous ?
Je fais des esquisses avant de commencer une nouvelle pièce. Même si la plupart du temps je change d’avis en cours de route et finis avec un résultat complètement différent de mon esquisse, surtout quand je pratique le tournage. Je prends également mes pièces en photo avant de les émailler, pour faire des essais (en digital) en différentes couleurs avant de passer à l’action.
Préfères-tu le modelage ou le tournage ? Est-ce que tu vas continuer à travailler avec ces deux techniques en parallèle ?
Je préfère le modelage, je me sens plus libre sur la forme avec ce medium. J’adore travailler au colombin pour modeler des pieces. C’est un moment particulier où je savoure les heures et les minutes, au lieu de les compter. Le fait de voir mes empreintes (que cela soit intentionnel ou accidentel) signifie qu’une partie de moi et de mon expérience restera figé dans cette pièce – à part si elle explose à la cuisson évidemment ! J’aime beaucoup les prendre en photo avant la cuisson, au cas où cela ne se passe pas comme prévu.
J’aime beaucoup travailler au tour également, et j’ai vraiment l’impression que l’apprentissage de cette technique est sans fin. J’apprécie le challenge que cela représente, de réussir à tourner une pièce et lui donner la forme qu’on imagine. Même si le modelage est vraiment là où je me retrouve face à moi-même dans une sorte de méditation, je me vois continuer à développer ces deux techniques.
Tu vis et travailles à Malaga, peux-tu nous parler de cette ville ?
Malaga a eu un vrai impact sur mon travail. Le fait que ce soit une ville à la culture très riche, avec plein d’expositions et une vraie scène artistique, des paysages ensoleillés et superbes, une vraie qualité de vie… Tout cela impacte mon travail. Malaga, surtout sur les dix dernières années, est devenue une vraie destination artistique en Espagne et l’endroit idéal pour les expats ou pour venir télétravailler depuis toute l’Espagne. De nombreux studios ont ouvert, et sont de vrais lieux d’échanges et de rencontres avec des personnes qui sont sur la même longueur d’onde; on peut parler de céramique mais aussi de musique, de culture, de politique. Ce sens de la communauté prend beaucoup de sens quand il s’agit de céramique ! On est très heureux à Malaga.
Peux-tu nous en dire un peu plus à propos des pieces sélectionnées pour Volume Ceramics ?
Les pieces tournées que j’ai créées pour Volume sont très inspirées par le travail de Lucie Rie. J’ai toujours été obsédé par ses pièces aux cols très évasés et ses grands bols. Dans toutes les pièces que je crée il y a un peu de cette admiration croissante que j’ai pour Lucie.
Pour ce qui est de la pièce modelée blanc mat, elle fait directement écho aux travaux archéologiques des Phéniciens auxquels je faisais allusion, toujours avec cette forme très évasée. Un mélange de références anciennes et modernes.
Comment ta pratique va-t-elle évoluer ?
Je n’ai pas envie de m’enfermer dans un style donné. Ce que je préfère dans cette pratique c’est l’expérimentation, les nouvelles techniques, les nouveaux émaux. Je n’ai jamais reproduit une pièce à l’identique et je ne me vois pas travailler en série. Je pense donc continuer à expérimenter et à faire des pièces complètement nouvelles, sans doute avec des échelles de plus en plus grandes.
Pour qu’on ait une idée du son en parallèle de l’image, qu’est-ce que tu écoutes en ce moment au studio ?
Là tout de suite j’écoute le morceau Pêche II par H Hunt ! J’écoute beaucoup H Hunt ces temps-ci. La musique idéale pendant que je travaille.